mercredi 30 décembre 2015

Le Toubab

Un toubab, pour un noir, c'est un européen. Ou alors, un autre noir ayant perdu son identité pour se fondre dans celle des blancs.

Mais ce qu'on dit peu ou pas du tout, c'est qu'un toubab se définit aussi par opposition aux blancs qui n'ont jamais vécu en Afrique.

Dit autrement, parmi les Français, il y a, par exemple, les Limousins, les Provençaux, les Bretons et il y a...les toubabs.

Je suis un toubab et fier de l'être. Et même un toubab au carré puisque je ne me suis pas contenté de vivre en Côte d'Ivoire. J'y suis né. 

C'est pour cette raison que ce blog porte le nom qu'il porte.

Je ne suis pas patriote. Ou alors, je le suis selon ma propre définition. Mes racines, c'est mon passé, -- comme pour tout le monde, non? --  et la terre de mon enfance.
Alors, non, je ne suis pas ivoirien. Je suis de la Perle des Lagunes. Je veux dire par là que si j'avais dû partir et finir mes jours  à Bouaké (par exemple), ç'aurait été un exil aussi.

Mon attachement éventuel à la France a souffert de lourds handicaps.
Pensez ! Les deux premières fois où l'on m'y a envoyé -- à 18 mois puis à 8 ans --, c'était non seulement un exil loin de ma terre natale mais aussi une séparation d'avec mes parents.

Alors, je vous prie de m'excuser si je suis et resterai toujours un Abidjanais.

Mais je m'en sors bien. Etant, selon l'expression consacrée, un Français de souche, je suis indemne de toute suspicion et personne ne m'espionne pour vérifier si je chante la Marseillaise correctement et avec la flamme qui convient. Un traitement de faveur, en quelque sorte. On pourrait appeler ça  "montrer patte blanche"...

Le Plateau une vingtaine d'années avant ma naissance.


lundi 23 février 2015

Juin 1957. En bateau pour la France

D'abord le plus important : cette magnifique description d'un voyage identique, effectué la même année entre Bordeaux et Abidjan, ce qui correspond à notre voyage de retour en septembre. A lire absolument sur le blog ici et maintenant dans une cabane.

Que rajouter à ce récit ? Caroline_8 parle d'une "salle de jeux". C'est ce que ma sœur Martine appelle "la nursery". Je me rappelle particulièrement le castelet où nous nous amusions à inventer des histoires et à manipuler des marionnettes avec l'index et le majeur, chaque groupe ou fratrie prenant, à tour de rôle, la place des acteurs ou des spectateurs. Le castelet occupait la partie la plus à droite de la salle quand on entrait. Il y avait d'autres jeux, alignés latéralement.

Nous avons pris le Brazza (où était-ce le Foucauld ou le Général Leclerc ?) à l'aller et au retour. C'est ma sœur qui m'a précisé ce détail car, dans ma mémoire, les deux trajets se confondent en un seul. Il y eut des escales. Je crois que nous, les enfants, ne descendions pas pour les escales. Je me souviens en particulier de celle de Madère parce que mes parents m'avaient rapporté un béret avec des motifs brodés de couleurs vives, que j'ai gardé longtemps.

Je me souviens également des repas dans la salle à manger du navire où flottait une odeur indéfinissable que je n'ai jamais retrouvée ailleurs.

Le salon du Brazza ou du Foucauld (les deux paquebots étaient identiques).


Quelques images pour en savoir plus long. La plupart sont prises sur le net.

Le Brazza, paquebot de la Compagnie des Chargeurs Réunis, le premier à pénétrer dans le canal de Vridi
en 1951, à l'ouverture du port d'Abidjan.




Escale à Madère à l'aller ou au retour, escale à Lisbonne au moins à l'aller. Témoin, cette carte postale envoyée par Adrienne à sa mère Henriette depuis Lisbonne et annonçant notre arrivée.

Carte postale envoyée le 23 juin (peut-être) par ma mère à sa mère depuis Lisbonne.


Le programme des escales touristiques est confirmé par ce livret de la Compagnie des Chargeurs Réunis, même s'il est daté de deux ans plus tard.

Comme on le voit, le trajet pouvait être assuré, soit par le Brazza, soit par
Le Foucauld, son "sistership", soit encore par le Général Leclerc. J'ai surligné l'option
escales à Madère et Lisbonne.




Le pont promenade du Brazza et du Foucauld.

Le Foucauld devant Madère.

Le Général Leclerc devant Madère.

3 jours après l'escale à Lisbonne, nous débarquons à Bordeaux pour une dizaine de semaines de vacances en France.

Cocody, la période.

Je ne peux pas dire quand nous avons emménagé dans cette grande maison aux portes de la brousse. Comme déjà dit, c'était quelque part entre le printemps et l'automne 1955.

Ce qui est certain, c'est que nous y étions quand j'ai fait mon année de maternelle (1955/56) puis ma première année d'école primaire (1956/57).

La maternelle, c'était à la Croix Rouge. J'en ai déjà parlé. J'avais 4 ans.
Quelques souvenir épars. Le préau qui n'était, dans mes souvenirs, qu'un grand bac à sable. Mon premier chewing-gum. Et puis, un épisode dont le souvenir est plus vivace que les autres.

Nous descendons l'avenue Botreau-Roussel en direction de la lagune dans la Simca Aronde Grand Large familiale, conduite par ma mère. Elle vient se garer sur le côté droit pour me déposer et m'embrasse pour me dire au revoir. Le rituel quotidien, après quoi je prenais la petite allée qui menait aux bâtiments.
Le bisou était-il trop humide ? Me prend l'idée saugrenue de m'essuyer la joue devant elle. Je l'ai manifestement froissée et elle me le fait savoir vertement. C'était "mal". Le savais-je ? Probablement pas.

L'école primaire, l'année suivante. C'était ailleurs. Une collection de bâtiments répartis autour d'une cour. Cet établissement me fait irrésistiblement penser au Collège d'Orientation du Plateau où j'ai fait, plus tard, ma 6° et ma 5°. A se demander s'il ne s'agit pas du même terrain.

Une salle de classe traditionnelle, avec un bureau pour le maîtresse, un tableau, des bureaux avec des encriers pour les élèves. Sur les murs, des affichettes illustrant des fables de La Fontaine, comme le Corbeau et le Renard. C'était le niveau précédant le CP. On appelait ça la 12°. Cela correspondrait aujourd'hui à la grande section de maternelle. J'y ai fait mes premières lignes d'écriture et mes premiers "pâtés". Une cour avec des arbres, dans laquelle nous passions les récréations. La seule trace que je garde de ces jeux dans la cour est une réflexion de ma mère : "Jean-Michel était toujours isolé, il ne jouait pas avec les autres enfants. Cela me faisait de la peine pour lui".


Salle de classe de la 12° à l'Ecole Primaire du Plateau. Au mur, des posters illustrant des fables de La Fontaine. A droite, Le Corbeau et le Renard. Sur les étagères, en haut, des boites de craies. Cliquez pour voir les photos à leur taille d'origine. 



La classe de 12° en 56/57. Dans la cour.


La classe de ma sœur (CE2?), la même année.


C'est à la fin de cette année scolaire, au mois de juin 1957, que nous avons pris le bateau pour la France et  dit adieu à la maison de Cocody en attendant de découvrir, à la rentrée suivante, l'appartement de l'avenue Chardy.

mercredi 18 février 2015

C'est quoi, un silex ?


Ce serait donc ça ?

J'ai une cicatrice au genou droit.

Je sais pourquoi.
Quoi ? Un caillou.
Quand ? L'été 1957, j'avais 5 ans.
Où  ? A La Ciotat, près de Marseille.

C'est un savoir de seconde main. Cette chute m'a été rapportée. Je ne saurais la situer précisément ni dans l'espace -- sur le chemin de l'hôtel à la plage ? -- ni dans le temps.

C'est un événement que je ne visualise pas.

Cependant, il y un événement connexe mais un peu plus tardif que je revois parfaitement. Comme si, pour moi, toute l'histoire commençait directement au chapitre 2.

Plantons le décor. Ma sœur, ma grand-mère et moi sommes logés dans un hôtel de La Ciotat, une grande résidence avec une tour et des terrasses à balustres. C'est l'après-midi. Ma sœur est dans la chambre, ma grand-mère et moi dans la salle de bains attenante, Elle tente de décoller le pansement qui avait été posé après la chute, pour le remplacer par un propre.

Trois quarts d'heure ! Elle a mis trois quarts d'heure pour décoller ce fichu pansement avec, en fond sonore, mes geignements de douleur. Et plus je me plains, plus ma grand-mère hésite, plus cela ralentit le processus et plus longue est la "torture".

Terrasse de l'hôtel à La Ciotat. De gauche à droite : mon père, moi, ma sœur, ma grand-mère.
Selon toute vraisemblance, nos parents nous avaient rejoints en fin de séjour.
A priori, cette photo a été prise peu après la laborieuse opération rapportée ci-dessus.




Une ou deux semaines plus tard, atelier décollage de pansement sur le divan de la salle à manger à Meudon. Ma mère fait une démonstration à destination de ma grand-mère. Principe de base : ne pas tenir compte des plaintes. On attrape le coin du pansement, on tire d'un coup sec et hop ! Super-Adrienne réussit l'opération en 2 secondes et 5 dixièmes. Le patient n'a même pas eu le temps d'avoir mal et encore moins de le manifester.

Si ma grand-mère a appris quelque chose de cette aventure, moi aussi. J'ai fait la connaissance du mot silex, identité générique du méchant caillou sur lequel j'étais tombé et qui m'avait ouvert le genou. La plupart de mes souvenirs anciens sont liés à l'apprentissage de vocabulaire.

Je me suis vu aussi confirmer ce que je savais déjà. Les techniques pédagogiques de Super-Adrienne -- autoritaire, ne ménageant pas les claques, laissant peu de place à la négociation -- n'avaient rien à voir avec celles de grand-mère Blanche.

Parfois, je me demande si le plus grand traumatisme lié à la maladie de ma mère et à son décès n'est pas là. Comment était-il possible que ma mère se laissât infantiliser pas les infirmières et les médecins de l'hôpital ? Ces gens-là savaient-ils bien qu'ils avaient affaire à Super-Adrienne, la plus forte de toutes les mamans ? Dissonance cognitive, même pour l'adulte de 34 ans que j'étais devenu.