jeudi 30 janvier 2014

Cocody, la maison.

Un jour, nous avons emménagé dans la maison de Cocody.
Je ne sais pas quand et je ne sais pas où exactement.

Le quartier de Cocody est à l'emplacement du point rouge.
A sa gauche, le Plateau, où nous reviendrons deux ou trois ans plus tard, en 57.
Ce pourrait être en janvier ou, tout aussi bien, en juillet 1955. Nous y étions lors du mariage du couple Boissin, pour lequel ma sœur et moi étions enfants d'honneur, comme le montre la photo ci-dessous.

Le mariage Boissin, le 9 juillet 1955. Martine et moi menions la noce.

C'est à peu près de cette époque que remontent mes souvenirs les plus anciens. En juillet 1955, j'avais 3 ans et demi et Martine 6 ans. Nous étions à Cocody, c'est à peu près certain. Je le sais à cause de la photo suivante qui nous montre, ma sœur et moi, autour de la table de la salle à manger. La coiffure de Martine est identique à celle qu'elle arbore sur la photo du mariage.
Salle à manger à Cocody. En face, la baie donnant sur la terrasse.
Ci-dessous, un diaporama en forme de vidéo montrant le plan de la maison. Naturellement, cette présentation ne prétend pas restituer fidèlement ce que nous voyions à l'époque. Elle ne donne qu'une idée générale de la disposition des pièces. Il y manque beaucoup de meubles, notamment les fauteuils et la table basse du salon, visibles sur les photos suivantes, une petite table dans la salle à manger supportant un poste de radio, les meubles des chambres, etc.... Le local dénommée "pièce mystère" n'a pas de fonction bien définie. D'après ma sœur, elle contenait (entre autres?) un réservoir d'eau.



Raymond dans le salon. A gauche, la terrasse. Derrière, sous la fenêtre,
la couchette sur laquelle une infirmière me faisait des piqûres
.
Le salon. Au fond, derrière le boy, la terrasse.

La salle à manger prise depuis le salon. Le boy met le couvert.
La table vue un peu plus haut. Sur la droite, la porte de la chambre des parents est ouverte. On en aperçoit l'armoire.
Un autre coin de la salle à manger. La porte donnant sur le couloir est ouverte.Ce couloir desservait, de part
et d'autre, notre chambre et la salle de bains, dont on devine la porte.

Je n'ai pas de photo de la chambre des enfants mais je me souviens assez bien de la disposition. J'avais le lit le plus éloigné de la porte. En face, les 3(?) fenêtres donnant sur la terrasse. Ce sont ces fenêtre qui rendaient mon endormissement difficile. Derrière elles, le domaine des "fantômes" qui alimentaient mes cauchemars. Près de la porte, nous avions un petit tableau noir sur un trépied(?) avec les lettres de l'alphabet.

lundi 13 janvier 2014

Abidjan 54-55 - Un aller ou un retour ?

Automne 1954. Me voici revenu dans cette ville où j'ignore avoir déjà vécu. Un DC4 ou un DC6 d'Air France ou de la TAI nous dépose sur l'aéroport d'Abidjan.


Nous voilà sur le tarmac, en compagnie de papa, maman et quelques unes de leurs connaissances. Ma sœur et moi portons les mêmes vêtements que lors de notre visite à Saint-Germain-en-Laye, il y a quelques semaines de cela. Il est curieux de constater qu'ici, comme sur plusieurs des photos suivantes, nous portons le même modèle de vêtement. Pendant quelques années, nos parents nous ont habillés comme des jumeaux..




Nous sommes toujours dans la période dont je n'ai aucun souvenir. Un petit tronçon un peu énigmatique qui commence là, en septembre ou octobre 54. Quelques mois à l'Hôtel du Parc....

Plan de situation de l'Hôtel du Parc (rond rouge). Les X vert et bleu montrent d'où ont été prises
les deux photos ci-dessous.


L'Hôtel du Parc vu depuis le carrefour de la rue Gourgas et de l'avenue Chardy (X vert sur le plan)  et,
à droite, depuis le square Bressoles. (X bleu). On voit la terrasse du bar avec son velum et le cinéma à sa droite.



L'entrée de l'Hötel du Parc, avenue Chardy.



...tandis que les repas sont pris chez des amis, les Taverdon. Jean Taverdon travaillait avec mon père au studio de Radio Abidjan et s'occupait plus particulièrement de la partie technique. Voir l'article pertinent.

Nos parents estimèrent probablement que ce régime ne pouvait s'éterniser et qu'il devait être possible de trouver des conditions plus confortables que de "camper" à quatre dans une chambre d'hôtel. Combien de temps cette situation a-t-elle duré ? Aucune idée. Quand nous "posons"-nous enfin à Cocody ? Mystère. La fourchette est large et s'étend sur six mois, disons, de décembre 54 à juin 55.

Le premier trimestre s'achève avec la fête de Noël; au palais du gouverneur, entourés de plusieurs dizaines d'autres enfants....

Le palais du gouverneur, vue extérieure.


Le Noël du Palais. Décembre 1954.



....puis, en famille.




La photo ci-dessus comporte, au verso, un commentaire manuscrit de la main de mon père ou de ma mère

Le jour de Noël 1954.
Jean Michel a revêtu ces accessoires d'agent de la circulation, panoplie donnée par sa marraine. Il a un sifflet dans sa bouche. Martine a la poupée que nous avions achetée à Paris.

Je pense que cette petite note était destinée à l'une de nos grand-mères et que la photo avait été glissée dans une enveloppe à destination de la France.
Le cheval de bois me dit quelque chose. J'ai dû le revoir plus tard.
Les sandales sont aussi du même modèle. Le port de ces "nu-pieds" était quasiment de règle pour les enfants d'Abidjan.

Toujours le 25 décembre 54. Un lieu inconnu quelque part à Abidjan.  Chez les Taverdon ?
Ou, pourquoi pas, déjà à Cocody ?

Commentaire au verso de la photo de gauche "janvier 55 studio radio Abidjan". Celle de droite, non datée,  semble lui être postérieure de quelques pois. Entre mars et juin 1955 ?
Quand elles ne sont pas datées, ces photos sont difficiles à ordonner chronologiquement. En général, j'essaie de me baser sur la longueur des cheveux de Martine. 

Je consacrerai l'article suivant à la période de Cocody avec des photos prises dans ou autour de la maison et d'autres clairement reliées à cette période.





dimanche 5 janvier 2014

Amnésie infantile

Comme le dit Boris Cyrulnik, avec une concision, une simplicité et une justesse à couper le souffle,  "lors de ma première naissance, je n'étais pas là".

Qui est ce petit garçon de 18 mois qui me regarde ?

"T'es qui toi ? T'es moi ?"
Lequel de nous deux apostrophe l'autre ?
J'ai choisi cette photo car celui-ci me regarde vraiment. Au fond des yeux. Et ça fait quand même drôlement bizarre.
Cliquez sur la photo pour l'agrandir : il vous regarde aussi. Mais le fait qu'il vous regarde, vous, est beaucoup plus anodin.que pour moi.
Il ne sait pas que j'existe. Comment pourrait-il en avoir la moindre idée ? Mais, bon, il a vraiment l'air de me regarder, alors je fais comme si. De mon côté, je sais qu'il n'existe plus...ou presque plus ?

Je suis né à 4 ans/4 ans et demi environ. Avant, c'est le néant. Avant, c'est un autre, qui a utilisé le même véhicule corporel que le mien. Pas de souvenir. Avant "je n'étais pas là". Donc, pas moyen de communiquer avec cet autre-là, celui-là même qui me regarde avec ces yeux qui sont censés être les miens. Il paraît que les yeux ne changent presque pas.


Le phénomène de l'amnésie infantile a reçu des explications diverses. Freud pensait qu'elle était due au refoulement. Mais Freud pataugeait un peu dans ses affaires-là, comme beaucoup à son époque.. Et puis, il tenait bien davantage à trouver le moyen de valider son concept du refoulement qu'à chercher honnêtement une explication. En quelque sorte, la réponse précédait et provoquait la question.

Plus convaincante est la théorie selon laquelle le système neurologique n'a tout simplement pas la maturité (manque de connexions entre neurones) suffisante pour permettre de conserver des souvenirs. Surtout, il y a le problème du langage. Peut-on conserver des souvenirs en l'absence totale d'outils de conceptualisation, même sommaires ?

On s'accorde généralement pour dire que le blackout est absolu jusqu'à l'âge de deux ans et que la fixation des souvenirs reste très partielle jusqu'à 6 ans environ. Et puis, même après quatre ans, il y a beaucoup de "faux" souvenirs, des souvenirs suggérés, fabriqués.

Il y a là un mystère, générateur à la fois de frustration et de fascination. Quand suis-je né à ma propre mémoire ?  De quand date la coupure ? Quand précisément le rideau se déchire-t-il ? Et cet autre, censé être moi et avec lequel je ne peux communiquer, est-il vraiment moi ?

J'ai des souvenirs relativement anciens mais, semble-t-il, moins que la moyenne des individus.
Surtout, il m'est pratiquement impossible de classer les plus archaïques par ordre chronologique.
La seule chose que je sais, c'est qu'ils remontent à la période où nous habitions Cocody. J'ignore quand nous y avons emménagé précisément. La fourchette s'étend, en gros, sur six mois, de l'hiver à l'automne 1955. Nous en sommes partis en mai/juin 1957 pour aller prendre des vacances en France avant de nous installer dans l'appartement de l'avenue Chardy..

Salade mélangée

Certains souvenirs se réfèrent à des événements ponctuels, d'autres à des situations répétitives.

Je me souviens de cette scène où nous arrivons à notre logement de Cocody et je -- mais il est possible que ce soit quelqu'un d'autre -- m'écrie "Voilà la maison !".

Je vais au jardin d'enfants de la Croix Rouge. Facile à situer en "remontant" ma scolarité vers le passé : année scolaire 55-56. Je revois quelques scènes et décors. Le préau, comme un immense bac à sable. Mon premier chewing gum que l'on m'avait bien recommandé de ne pas avaler. Je suis aussi, avec les autres enfants et les maîtresses, dans le bâtiment couvert attenant au préau, sans doute pour cause d'intempéries.
Un jour, ma mère me dépose devant la Croix Rouge, comme à l'accoutumée. Elle se gare le long du trottoir puis pose un baiser sur ma joue. Je m'essuie furtivement. Ce geste la blesse et elle me le fait savoir de manière assez véhémente. Je ne suis pas sûr d'avoir compris, sur le moment, pourquoi c'était mal. Mais, bon, c'était forcément mal puisque ça mettait Maman en colère.

Maintenant, je sais compter jusqu'à 20. Mais j'oublie toujours un nombre. Je crois que c'est le 15.
A ce propos, 20, c'est l'âge auquel il me tarde d'arriver. J'y pense et j'en parle souvent. Est-ce pour cette raison que j'ai tenu à apprendre à compter  jusque là ?
Une dame vient me faire des piqûres sur le petit lit au fond du salon. J'aime pas.
Maman dit que j'ai de "l'acétone"(?) et me fait prendre des granulés. Je ne sais pas si c'est pour ça ou pour autre chose. Elle dit aussi que j'ai de la "bourboule" (des petits boutons rouges sur la poitrine ?).

La maison est équipée d'une large terrasse qui en fait presque tout le tour. Alors, je fais des tours de terrasses dans ma voitures à pédales (rouge?) métallique. Plus tard -- ou est-ce plus tôt ? -- je boucle les mêmes circuits avec mon scooter à pédales.
J'ai aussi une panoplie d'agent de police. Aujourd'hui, je devine, grâce à des photos, que cette panoplie m'avait été offerte pour  la Noël 54, un ou deux ans plus tôt.

Cette maison correspond aux années scolaires 55-56 et 56-57; c'est-à-dire...
- à  mon année de maternelle (voir ci-dessus)
- puis à ma première année de primaire, que l'on appelait la 12° et qui était une sorte de pré-CP ou de grande section.
Naturellement, pour tous les souvenirs liés à l'école, il est facile de les attribuer à l'une ou l'autre de ces deux années. Pour ceux liés à la maison et à la vie familiale, en revanche, c'est le grand méli-mélo.

Je consacrerait un article particulier à notre logement de Cocody, avec des photos. Ce sera l'occasion de parler de quelques autres souvenirs de cette époque, plus spécifiquement liés à la maison.





jeudi 2 janvier 2014

53-54 Talence, Arès, Meudon

Cliquez sur les images pour les agrandir.


Abidjan mai 53 / Arcachon juin 53

Rappel : je n'ai aucun souvenir de tous les événements décrits dans cet article. Il s'agit donc d'une reconstruction à partir des photos que je possède et de ce que l'on m'a raconté.

J'ai 18 mois et me voici à l'aéroport de Port-Bouet, dans un DC4 (peut-être) en partance pour Bordeaux, en compagnie d'une dame à qui l'on m'a confié. Est-ce que je la connais ? Je ne sais pas. Mes parents redescendent de l'avion, me laissant sous sa garde. Je n'ose imaginer quels furent mes sentiments à ce moment-là mais je suppose que la perplexité devait le disputer au désespoir.

Abidjan Port-Bouet années 50      /      Bordeaux Merignac en 1963
Attention, l'échelle n'est pas la même. Cela se voit à la taille respective des avions.
Abidjan est encore un "petit" aéroport comparé à Bordeaux. 

Nous arrivons à Bordeaux-Mérignac. Deux inconnues, ma grand-mère maternelle Henriette et ma sœur Martine, sont venues me chercher. Il faut rappeler que ma sœur n'a connu notre mère que de 0 à 6 mois avant que celle-ci ne s'en aille en Afrique avec notre père, la laissant à la garde d'Henriette qui, de fait, a joué pour elle un vrai rôle de mère.

Récit de ma sœur : "cette dame a descendu la passerelle avec toi dans les bras. Tu pleurais beaucoup. Puis elle t'a confié à Grand-mère. Tu as pleuré de plus belle".

Je fais alors la connaissance de ces deux membres de ma famille. On nous retrouve sur la plage d'Arcachon à quelques temps de là. Voir photo en haut de l'article. J'ai déjà presque doublé de volume, preuve évidente que la France me "profite".

A partir de là, je vais m'adapter progressivement à mon nouvel environnement, physique et humain..
Ma grand-mère me promène, m'emmène en ville, toujours en compagnie de ma sœur.

gauche : Martine et moi / droite : Avec ma grand-mère Henriette Ibos née Chazal.
Le chapeau que je porte me valait de la part des adultes, le surnom moqueur de "Le Boer" (prononcé à la française).


Ma grand-mère paternelle, Blanche Villemain veuve Magniez, est également présente. Elle est venue de son domicile de Meudon pour prêter main forte à Henriette. Les deux dames se répartissent les tâches. Henriette s'occupera plus particulièrement de Martine, comme elle l'a fait pratiquement depuis sa naissance, et Blanche de moi.


La maison de Talence, av. Jean-Jaurès, aujourd'hui.

Reconstitution 3D sous Sketchup


La même, de trois-quarts. Devant, les pavés.Au fond, sous la terrasse,
le chai que l'on retrouve sur l'image suivante. 
.
Le premier étage ressemblait à peu près à ce plan. 


Je me laisse apprivoiser. Ma grande sœur reçoit la charge de m'occuper.

Devant le chai. Je suis vêtu de ma fameuse "bambinette" (lire plus bas).

Ma "grand-mère de Meudon" -- plus tard, nous avons appelé nos grand-mères respectivement "Grand-mère de Meudon" et "Grand-mère de Talence" -- m'emmène en balade dans les rues de Talence et de Bordeaux. Plus tard, elle m'a raconté qu'à chaque fois que nous passions devant un café, je m'écriais "A babar ! A babar !". Je tiens néanmoins à préciser que cette vocation de pilier de bistrot fut éphémère.

Blanche avait gardé un souvenir assez précis de cette période. Des années plus tard, elle prenait un plaisir espiègle à m'imiter disant "Je n'f'rai pas pipi dans ma bambinette ! Je n'f'rai pas pipi dans ma bambinette !" J'en conclus que l'on m'avait sévèrement tancé pour m'être ainsi oublié et qu'on me faisait répéter cette antienne comme une sorte de mantra. Etant donné l'amusement rétrospectif que l'évocation de cette scène semblait procurer à ma grand-mère de Meudon, je suppose que c'était l'autre, Henriette, qui m'obligeait à prononcer cette formule magique et que c'est d'elle que Blanche se moquait autant que de moi.
Il faut dire que les choses se gâtèrent assez vite entre les deux grand-mères et que le climat se refroidit à vitesse grand V.

Je tiens de ma sœur le récit de cette scène au cours de laquelle Henriette, excédée, n'en pouvant plus de cette cohabitation forcée, était montée prendre ses quartiers au deuxième étage, sa machine à coudre sous le bras.
J'ai revu mes deux grand-mères en présence l'une de l'autre 4 ans plus tard, pendant l'été 1957. Il ne me semble pas que leurs rapports s'étaient beaucoup réchauffés, même si je ne me souviens pas d'avoir assisté à un esclandre quelconque.

Les mois passent. Je passe les fêtes de Noël à Talence.


Après un hiver particulièrement rude (le fameux hiver 1954), arrive le printemps et, avec lui, ma mère, venue libérer ma grand-mère de sa tâche. En effet, celle-ci commençait à lutter contre le cancer qui devait l'emporter en septembre 1958.

Je ne sais pas quel laps de temps sépare ces deux photos.
Sur la deuxième nos tenues semblent moins hivernales.
Est-ce que je reconnais ma mère ? Je ne sais pas. Plus de six mois se sont écoulés et j'ai à peine plus de deux ans. Mon père ne tarde pas à nous rejoindre. Peut-être au début de l'été. Ma sœur aussi fait la connaissance de ses parents, elle qui n'a connu ma mère que pendant ses six premiers mois et mon père probablement le temps d'un éclair en octobre 1949.

De cette période où nous sommes tous réunis à Talence, je ne garde pas non plus le moindre souvenir. Juste une anecdote : ma sœur raconte qu'elle s'était fait punir parce qu'elle s'amusait à me coincer les doigts dans mon parc. Il ne fait pas de doute qu'elle devait l'avoir mauvaise d'être sanctionnée par ces gens qui affirmaient être ses parents mais n'étaient pour elle que des étrangers. 

Puis, l'été arrivant, on nous a emmenés à Arès. Blanche était là. Henriette était probablement à l'hôpital ou était restée se reposer avenue Jean-Jaurès. Arès est une station balnéaire située au nord du bassin d'Arcachon. 

Arès est indiqué par la flèche rouge. 



Arès Eté 1954 


Avec notre père et sa mère,  Blanche.
Après ces vacances balnéaires, toute la petite famille : grand-mère, papa, maman et les deux enfants s'acheminent vers la région parisienne, à Meudon, où notre grand-mère avait un pavillon.



C'est à Meudon que nous vivons nos dernières semaines avant le départ pour Abidjan. D'après ma sœur, elle y aurait commencé l'année scolaire. De mon côté, trop jeune pour être scolarisé, je prends néanmoins de cours de jardinage et, notamment, d'arrosage.

"Regarde. C'est comme ça qu'il faut faire."

Peut-être dans le jardin du pavillon de Meudon. Raymond, Blanche, Adrienne.
Le séjour à Meudon est également agrémenté de visites touristiques. Je  ne sais pas quel enthousiasme je manifestais mais je sais que celui de ma sœur restait très modéré, ce qui avait le don d'énerver mes parents.
Comment ! On faisait tout pour enrichir sa culture et voilà qu'elle affichait un ennui ostensible ! (propos de mes parents récemment rapportés par Martine). Bon, j'avais moins de trois ans et ma sœur cinq ans et demi. On peut comprendre que ses visites ne nous passionnaient pas.

Martine garde le souvenir de plusieurs lieux différents. Comme je ne me rappelle absolument rien de cette époque, je la crois sur parole. Cependant, grâce à des photos, je sais que le château de Saint-Germain-en-Laye fit partie du programme.

Le pont qui enjambe les douves du château de Saint-Germain-en-Laye.
Sur la photo de notre arrivée à l'aéroport d'Abidjan, nous portons les mêmes vêtements.


Quelques jours après cette photo, nous étions dans l'avion à destination d'Abidjan. Première visite pour ma sœur. Un retour, pour moi. Sauf que 18 mois s'étaient écoulés entre temps (mai 53-octobre 54) et que j'avais probablement oublié y avoir jamais mis les pieds. J'allais réapprendre à être Abidjanais. 

mercredi 1 janvier 2014

L'avenue Chardy...encore...parce que..

Parce que c'est la période de mon enfance dont j'ai gardé le meilleur souvenir et que, quoi qu'il arrive, je ne parviendrai jamais à épuiser le sujet..

D'octobre 1957 à juin 1959. Entre 5 et 7 ans.

Mes premiers livres de classe. Mon premier résumé de "Leçon de choses" à apprendre : "La pomme est un fruit à pépins". Terminé. Commentaire amusé de mes parents : "Si tu n'as que ça à apprendre, ça devrait pouvoir aller".

Nos jeux avec notre copain Babacar qui habitait l'appartement situé à l'angle de la rue Lecœur. Nos errances avec lui à travers l'immeuble et aux alentours, dans les cuisines du Pam Pam (dans la cour intérieure de l'immeuble).

Mes courses chez l'épicière syrienne, Rose, à l'angle de l'avenue Gourgas, chez qui je ramenais le verre consigné. Depuis, chaque fois que j'entends des histoires de Toto chez l'épicier, c'est cette boutique que je vois.
Rose avait un bouton sur le visage où poussait un poil. Pardon à cette dame, qui n'avait pourtant rien de particulièrement effrayant ou même disgracieux, mais lorsque j'ai entendu, pour la première fois, la chanson de Charles Trenet, l'Epicière est une Sorcière, c'est à elle que j'ai pensé.
Quand on me posait la question de ce que je voulais faire plus tard, je répondais : "Syrien". Comprendre commerçant ou épicier.

Nos dîners sur la terrasse, à la fraîche.
Avant d'aller au lit, j'embrassais mes parents. Un jour, on m'a demandé pourquoi j'avais plus de plaisir à embrasser ma mère que mon père et j'ai répondu : "Parce que, papa, il a des obstacles". Et oui, les mamans ont toujours la peau plus douce.

La ville. Nous étions en plein cœur du Plateau. La ville, la vie. Rassurante.
Contrairement à notre logement précédent, à Cocody -- où nous étions plutôt isolés, quasiment en bordure de brousse -- où le silence était épais et où j'ai connu quelques terreurs nocturnes, parfois irrationnelles, parfois basées sur des bruits étranges.



Ci-dessus, la version Sketchup de l'appartement de l'avenue Chardy, telle qu'elle apparaît dans la vidéo de cet autre article. En bas à droite, la chambre de nos parents. En haut à droite, la nôtre. Tout en bas, l'amorce de la terrasse.

Avenue Chardy, je m'endormais au cœur de la ville. Et cela me réconfortait. Hors de notre chambre, mes parents continuaient leurs activités. Parfois, des amis avaient été reçus à dîner et les conversations continuaient. Longtemps, j'ai aimé percevoir ainsi la vie, le bruit et le mouvement autour de moi à l'approche du sommeil. Cela m'aidait à m'endormir. J'aimais savoir que les adultes continuaient à faire tourner le monde. Car, oui, mes parents faisaient tourner le monde pour moi, eux, les Géants, les Tout-Puissants, les Immortels, les Parfaits, les Infaillibles.

Quand  je compare mon univers d'alors et celui de l'adulte que je suis devenu, je m'aperçois que le plus sale tour que m'aient joué mes parents, c'est de mourir. Et non, ils n'étaient pas immortels... ni tout-puissants ni l'image de la perfection morale. Et n'importe qui pouvait être parent, même moi. Aucune supériorité ontologique impliquée ; juste une question de temps.

Misère.. Il y avait une arnaque quelque part.
Déjà, quand j'ai commencé à ne plus les regarder en contre-plongée puis à devoir me baisser pour les embrasser, j'ai flairé quelque chose de louche.