dimanche 5 janvier 2014

Amnésie infantile

Comme le dit Boris Cyrulnik, avec une concision, une simplicité et une justesse à couper le souffle,  "lors de ma première naissance, je n'étais pas là".

Qui est ce petit garçon de 18 mois qui me regarde ?

"T'es qui toi ? T'es moi ?"
Lequel de nous deux apostrophe l'autre ?
J'ai choisi cette photo car celui-ci me regarde vraiment. Au fond des yeux. Et ça fait quand même drôlement bizarre.
Cliquez sur la photo pour l'agrandir : il vous regarde aussi. Mais le fait qu'il vous regarde, vous, est beaucoup plus anodin.que pour moi.
Il ne sait pas que j'existe. Comment pourrait-il en avoir la moindre idée ? Mais, bon, il a vraiment l'air de me regarder, alors je fais comme si. De mon côté, je sais qu'il n'existe plus...ou presque plus ?

Je suis né à 4 ans/4 ans et demi environ. Avant, c'est le néant. Avant, c'est un autre, qui a utilisé le même véhicule corporel que le mien. Pas de souvenir. Avant "je n'étais pas là". Donc, pas moyen de communiquer avec cet autre-là, celui-là même qui me regarde avec ces yeux qui sont censés être les miens. Il paraît que les yeux ne changent presque pas.


Le phénomène de l'amnésie infantile a reçu des explications diverses. Freud pensait qu'elle était due au refoulement. Mais Freud pataugeait un peu dans ses affaires-là, comme beaucoup à son époque.. Et puis, il tenait bien davantage à trouver le moyen de valider son concept du refoulement qu'à chercher honnêtement une explication. En quelque sorte, la réponse précédait et provoquait la question.

Plus convaincante est la théorie selon laquelle le système neurologique n'a tout simplement pas la maturité (manque de connexions entre neurones) suffisante pour permettre de conserver des souvenirs. Surtout, il y a le problème du langage. Peut-on conserver des souvenirs en l'absence totale d'outils de conceptualisation, même sommaires ?

On s'accorde généralement pour dire que le blackout est absolu jusqu'à l'âge de deux ans et que la fixation des souvenirs reste très partielle jusqu'à 6 ans environ. Et puis, même après quatre ans, il y a beaucoup de "faux" souvenirs, des souvenirs suggérés, fabriqués.

Il y a là un mystère, générateur à la fois de frustration et de fascination. Quand suis-je né à ma propre mémoire ?  De quand date la coupure ? Quand précisément le rideau se déchire-t-il ? Et cet autre, censé être moi et avec lequel je ne peux communiquer, est-il vraiment moi ?

J'ai des souvenirs relativement anciens mais, semble-t-il, moins que la moyenne des individus.
Surtout, il m'est pratiquement impossible de classer les plus archaïques par ordre chronologique.
La seule chose que je sais, c'est qu'ils remontent à la période où nous habitions Cocody. J'ignore quand nous y avons emménagé précisément. La fourchette s'étend, en gros, sur six mois, de l'hiver à l'automne 1955. Nous en sommes partis en mai/juin 1957 pour aller prendre des vacances en France avant de nous installer dans l'appartement de l'avenue Chardy..

Salade mélangée

Certains souvenirs se réfèrent à des événements ponctuels, d'autres à des situations répétitives.

Je me souviens de cette scène où nous arrivons à notre logement de Cocody et je -- mais il est possible que ce soit quelqu'un d'autre -- m'écrie "Voilà la maison !".

Je vais au jardin d'enfants de la Croix Rouge. Facile à situer en "remontant" ma scolarité vers le passé : année scolaire 55-56. Je revois quelques scènes et décors. Le préau, comme un immense bac à sable. Mon premier chewing gum que l'on m'avait bien recommandé de ne pas avaler. Je suis aussi, avec les autres enfants et les maîtresses, dans le bâtiment couvert attenant au préau, sans doute pour cause d'intempéries.
Un jour, ma mère me dépose devant la Croix Rouge, comme à l'accoutumée. Elle se gare le long du trottoir puis pose un baiser sur ma joue. Je m'essuie furtivement. Ce geste la blesse et elle me le fait savoir de manière assez véhémente. Je ne suis pas sûr d'avoir compris, sur le moment, pourquoi c'était mal. Mais, bon, c'était forcément mal puisque ça mettait Maman en colère.

Maintenant, je sais compter jusqu'à 20. Mais j'oublie toujours un nombre. Je crois que c'est le 15.
A ce propos, 20, c'est l'âge auquel il me tarde d'arriver. J'y pense et j'en parle souvent. Est-ce pour cette raison que j'ai tenu à apprendre à compter  jusque là ?
Une dame vient me faire des piqûres sur le petit lit au fond du salon. J'aime pas.
Maman dit que j'ai de "l'acétone"(?) et me fait prendre des granulés. Je ne sais pas si c'est pour ça ou pour autre chose. Elle dit aussi que j'ai de la "bourboule" (des petits boutons rouges sur la poitrine ?).

La maison est équipée d'une large terrasse qui en fait presque tout le tour. Alors, je fais des tours de terrasses dans ma voitures à pédales (rouge?) métallique. Plus tard -- ou est-ce plus tôt ? -- je boucle les mêmes circuits avec mon scooter à pédales.
J'ai aussi une panoplie d'agent de police. Aujourd'hui, je devine, grâce à des photos, que cette panoplie m'avait été offerte pour  la Noël 54, un ou deux ans plus tôt.

Cette maison correspond aux années scolaires 55-56 et 56-57; c'est-à-dire...
- à  mon année de maternelle (voir ci-dessus)
- puis à ma première année de primaire, que l'on appelait la 12° et qui était une sorte de pré-CP ou de grande section.
Naturellement, pour tous les souvenirs liés à l'école, il est facile de les attribuer à l'une ou l'autre de ces deux années. Pour ceux liés à la maison et à la vie familiale, en revanche, c'est le grand méli-mélo.

Je consacrerait un article particulier à notre logement de Cocody, avec des photos. Ce sera l'occasion de parler de quelques autres souvenirs de cette époque, plus spécifiquement liés à la maison.





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